Le Ballet de cour : instrument de la propagande politique

– Propagande : “activité tendant à propager des idées” (Dictionnaire Hachette)
– La musique est donc le support d’une idéologie, elle transmet une vision politique : ici celle de la monarchie absolue.
Le ballet de cour en est le meilleur exemple.

I – Bref hisorique-Fonction au sein de la cour-Définition générale
II – Ballet mélodramatique, La Délivrance de Renaud (1617)
III – Ballet à entrées : Ballet de Flore de Lully (1669)

I – Aspects généraux

A – Origines
– les intermèdes
– Spectacles et intermèdes donnés lors d’un festin (“Entremets” de la cour de Bourgogne au XVe)
– Intermèdes de la cour des Valois pour les fêtes: danses entre les actes d’une pièce (sans relation avec la pièce), danses où les courtisans ont un rôle actif.
Le Ballet comique de la Reine: un des 1ers témoignage conservé, 1581

1 – Le 1er ballet qui marque une conception unifiée de ces intermèdes
– Commande de la reine mère Catherine de Médicis pour le mariage de la belle-sœur d’Henri III en 1581.
– Le titre: Circé ou le Ballet comique de la Reine (le mot comique fait référence à l’art théâtral = en comédie)

2 – Créateur avec plusieurs compositeurs : Balthasard de Beaujoyeulx (violoniste et maître de ballet piémontais).
– 1ère tentative d’unir la poésie, la danse, la musique et le décor au sein d’une action ininterrompue. Tentative apparentée aux conceptions humanistes de l’Académie de Baïf.
– La ligne directrice : détruire le pouvoir de la magicienne Circé afin de rétablir l’harmonie, l’ordre, la raison.
– S’accompagne d’allusions flatteuses au roi.
– Se termine par un Grand Ballet, tradition qui se maintient durant le XVIIe et origine des finales d’opéra.
– Porte donc déjà les caractéristiques du ballet de cour au XVIIe

Spectacle en musique particulier à la France, dont la période s’étend de la fin du XVIe à la fin du XVIIe environ avec Lully.
– Il est l’une des sources principales de l’opéra français qui apparaît à fin XVIIe (en conjonction avec l’opéra italien, surtout Cavalli).

B- Fonction politique
– le Ballet de cour est un spectacle de cour

* les danseurs eux-mêmes sont les courtisans, la famille royale, entourés de professionnels
* le grand ballet final réunit tous les participants et donc le plus souvent la famille royale

– Ballet de cour et pouvoir
– Dès son apparition, le b de cour véhicule une certaine image de la monarchie, et célèbre la glorification royale. Il devient avec Richelieu un instrument de propagande (après 1635).

* propager ses idées sur la grandeur du roi
* occuper la noblesse et la retenir à la cour : action au cœur des démarches dans les spectacles. Ex encore sous Louis XIV avec le duc de Beaufort qui participe au Ballet des Saisons (1661) de Lully. Il était un ancien frondeur.
=> défense de la monarchie absolue de droit divin

– Il faut lier avec la même démarche dans le théâtre et dans l’établissement de l’Académie française.
– Deux démarches : soit de manière métaphorique et symbolique soi de manière plus réaliste comme le ballet “politique”.
– la 1ère conception s’incarne dans les sources d’inspiration suivantes : allégorie, mythologie, romans de chevalerie. Ils expriment “pour ainsi dire des aspirations politiques : la recherche d’un équilibre” (Mac Gowan). Les événements historiques ou actuels ne sont jamais utilisés.
– ”Le ballet politique”: on appelle ballet politique, les ballets qui s’inspirent directement de l’actualité (Mac Gowan, p. 170).

– L’allégorie du pouvoir
1 – La symbolique
– Elle est aisément compréhensible et est tirée des sources d’inspiration : ex le Soleil et la Nuit

* Soleil représente le roi, apporte paix et liberté, abondance

Ex : Ballet de la reine représentant le Soleil et ses effets, 1621. Chaque saison fait le sujet d’un des tableaux. Exalte la puissance du soleil et de ses effets bénéfiques : hommage à L XIII.

* Nuit : les désordres civils, la guerre, la famine
* Renaud, Hercule, Persée : le roi
* Junon : la reine
* Nymphes, naïades : dames

– Opposition Soleil/nuit très fréquente
– Autre thème après 1627 : grandeur du roi et de la France sur les autres nations. Le monde vient rendre hommage au roi : le thème des Quatre Nations (Italie, Espagne, Allemagne, par Ex.)

* Ballet des quatre monarchies chrestiennes, 1635.

2 – Le livret
– Il est distribué et participe à éclairer le spectateur sur la vision symbolique et politique

* participe à la célébration
* donne les intentions de l’auteur, explique l’argument, clarifie les allusions,

– “les vers des personnages”: une particularité. Ils ne sont pas destinés à être lus ou chantés. Hommage à double sens aux personnages et aux personnes qui les tiennent. Tournent svt au panégyrique (pour le roi par ex).
Ex vers pour Louis XIV dans le Ballet de Flore

C – Structure générale

– Le spectacle

1 – Spectacle dramatique qui conjugue la poésie, la musique et la danse qui en est l’élément le plus important.
– les effets scéniques viennent compléter ce spectacle, avec leur composantes matérielles (costumes, décors, machineries).
– L’unité dramatique n’est pas n’est pas tjrs recherchée : c’est une des caractéristiques du genre.
– Mélange de sérieux et de comique, parfois de burlesque, caractéristique (les “mascarades”). Sources d’inspiration : mythologie, romans de chevalerie, allégories.

– Différence avec l’opéra : il n’existe pas vraiment d’écriture et de conceptions dramatiques.

=> Il n’existe donc pas de progression dramatique avec un nœud et une conclusion, sauf dans les ballets dramatiques.
=> le rôle imparti à la musique : elle est plus fonctionnelle que lyrique. Le plus souvent elle rehausse l’éclat du spectacle.

– Structure
– Peu rigide même si elle connaît des évolutions qui en fixent certains éléments (ouverture). En revanche elle comprend des spécificités permanentes (danses, grand ballet, glorification du pouvoir par la présence royale dans le spectacle).

1 – Structure d’un ballet de cour sous Louis XIII et Louis XIV

– Éléments fixes : Ouverture (puis Prologue avec Lully)-Entrées-Grand ballet final.
– Il y a donc alternance de :

* poèmes récités ou chantés, après 1605 principalement chantés
* chœurs
* danses et pantomimes

– L’Entrée :

* unité dramatique indépendante = une scène (NB dans la tragédie, l’entrée désigne les parties dansées d’un divertissement).
* Elle comprend récit(s), danses ou même chœurs. Pas de structure fixe : 1 ou plusieurs danses, 1 récit ou chœur + danse(s).
* Les entrées peuvent se regrouper par parties.

5 – Costumes et décors: les personnages sont masqués, les costumes sont expressifs des personnages et en accord avec la symbolique => on doit pouvoir identifier les personnages.
– Décors somptueux avec des machines

Le spectacle met à la disposition du pouvoir tous ses moyens : lire, voir, entendre (cf. la fiche de Raphaëlle).

– 2 types de ballets de cour qui se partagent le XVIIe
– B. de cour dramatique (ou Ballet royal) de 1609 à 1619 environ
– B. de cour à entrées après 1619

* de plus petits spectacles ou des ballets plus burlesques s’appellent “ballet-mascarade”

-les 2 types oscillent entre

* l’unité et la cohérence dramatique
* la succession d’entrées sans lien entre elles ou vaguement reliées par un sujet général.

II – Ballet de cour dramatique (1609-1619) : le Ballet de la Délivrance de Renaud, 1617

– Reprend l’initiative du Ballet comique

1 – Sujet
– sujet choisi par Louis XIII : provient de la Jérusalem délivrée du Tasse (Torquato Tasso). -œuvre connue de tout le public lettré de l’époque.
* Le Tasse : poète italien (1544-1595) 2e moitié du XVIe auteur du poème en 20 chants. Réside à Venise puis dans plusieurs cours dont Ferrare en 1565 (il est soutenu par les Este), à Mantoue en 1586 (Gonzague). Atteint de crises de folies, il est enfermé pdt 7 ans dans un asile. Hésite entre mysticisme et art, entre sensualisme et idéalisme. Ecrit la Jérusalem délivrée pdt 10 ans. Elle est éditée en 1581. Autres œuvres : Rinaldo, Aminta. La Jérusalem symbolise la lutte contre les Barbares : à l’époque Venise était sous la menace d’une invasion des Turcs. Elle est fondée sur les événements de la première croisades des chevaliers du Moyen Âge.
* Chez Le Tasse, les personnages de croisés sont mêlés à des magiciens/magiciennes à des fins didactiques : “placere per docere” (Horace). Pour l’auteur c’est un “ornement littéraire” capable de persuader et de frapper le lecteur.
– Renaud se libère de la tyrannie d’Armide, comme le roi de celle de la reine-mère, Marie de Médicis, et de ses conseillers. En 1617 Concini conseiller la reine est assassiné (complot mené par le duc de Luynes pour “délivrer” le roi).

* la scène finale représente le roi exerçant son pouvoir dans un royaume soumis à sa loi (Godefroy et ses chevaliers) : voir doc. Louis XIII incarne Godefroy : allégorie transparente…

1 – Livret avec une intrigue continue
– Renaud, chevalier chrétien, se repose au pied d’une montagne. Armide le séduit et il succombe aux plaisirs et à l’oisiveté, alors que ses compagnons résistent aux tentations. Un soldat lui tend un écu de cristal : Renaud voit toutes ses fautes. Plein de fureur, il arrache tous ses ornements symboles de sa déchéance. Armide survient et appelle à l’aide ses démons métamorphosés en animaux grotesques. Ils emmènent la magicienne : Renaud est délivré. Les chevaliers célèbrent ensuite à la fois la délivrance de Renaud et la gloire de leur chef, Godefroy qui vient d’arriver. (Mac Gowan, pp. 105-107).

– A comparer avec Armide de Lully où l’accent est mis sur une héroïne tourmentée, profondément humaine. Comparer les deux fins : apothéose de Renaud et de Godefroy en tête de leurs armées/Armide seule, déchirée et révoltée.

2 – La mise en scène
– fastueuse pour des objectifs de politique royale.
– Elle associe dans un seul décor différents procédés scéniques, scène tournante, châssis, décor mobile sur char : rapidité de changements de décor (voir les indications du livret : “Tout change en un instant”, Mac G p. 111)
– les rochers et les buissons se transforment en fontaines d’eau jaillissante (jardin enchanté), puis se changent en un pavillon avec un trône entouré de palmiers : “Le Roy comme un autre Godefroy, estoit sur un Trone dans ce pavillon de toile d’or” avec les seigneurs de la cour (témoignage de Durand cité par Mac G p. 111).

cf doc.

– Costumes sont également expressifs des préoccupation morales et politiques : les monstres d’Armide, représentent l’appétit et la volupté. Ils sont répugnants et proviennent des antres obscurs de la terre : écrevisses, tortues, limaçons.

3 – Musique
– Pas d’orchestration précisée, mais le livret indique (Ballard 1617) que le concert du début est joué par “64 voix, 28 violes, 14 luths” (musique de Mauduit).

– Récits composés par Pierre Guédron (compositeur d’air de cour)
Ex: “Quel subit changement”, récit d’Armide, Prunières, Le Ballet de cour, op. cit., p. 259
a – Style encore proche du XVIe
* forme strophique => rend impossible écriture du récitatif
* accompagnement polyphonique au luth => pas de basse continue
* voix encore tributaire de la polyphonie
* modalité : cadence plagale mesure 8.
b – Style air de cour XVIIe
* souplesse rythmique
* discret figuralisme (mes. mes 1-4) = > tentative d’expression musicale
* ornements spécifiques air de cour (mes. 15).