COURS IV - 1 : Figures du chanteur et de la chanteuse
Lors des réformes impulsées par les Camerate florentines (à propos de la monodie et de l’opéra), émerge la figure du chanteur et de la chanteuse. Ils se trouvent investis d’un rôle absolument neuf reposant sur des objectifs esthétiques et musicaux : en premier lieu exprimer les passions du texte poétique, au service des nouvelles conceptions des réformateurs. En second lieu, charmer et séduire le public par l’art consommé de leur interprétation (l’actio des rhétoriciens). Il s’agit là du point nodal de leur rôle où expression et virtuosité cherchent leur équilibre. Il est certain que les premières monodies ou les premiers opéras, demandaient autant un talent d’acteur que de chanteur : selon le mot de Caccini, qui répète celui de Platon – sans doute entendu dans le cercle des Bardi –, la mélodie n’est rien que la parole, le son et le rythme venant ensuite. Il y a donc une hiérarchie clairement assignée au chant : se soumettre au texte. Pour autant, le chant est-il dénué complétement des ornements qui font le charme et l’intérêt de l’interprétation lyrique ? Les créateurs de la monodie, Caccini et Peri, montrent au contraire que l’art du chanteur – Caccini en est un excellent – ne disparaît pas, luttant en quelque sorte contre la sévérité des conceptions néo platoniciennes.
La monodie : Caccini, Peri
La monodie est, en effet, un des éléments les plus novateurs du XVIIe siècle : elle constitue un tournant dans l’histoire de la musique (elle rompt avec la Renaissance et participe au développement de l’opéra).
Le terme “monodie” signifie un chant à voix soliste. Il a été choisi au XVIIe s. par analogie avec la musique des grecs, que des musiciens et des théoriciens de l’époque tentent de ressusciter. Des recherches se multiplient, en effet, en France et en Italie à la fin du XVIe s. pour parvenir directement au chant soliste sans plus de référence à la polyphonie et se rapprocher le plus possible du débit de la parole ainsi que du sens expressif des mots.
I- Vers la monodie
*Ce n’est cependant pas un changement brutal: le chant soliste avec luth (ou viole) existe à la Renaissance, cf le recueil de Bossinensis imprimé en 1509 par Petrucci et les nombreuses publications en Italie, France, GB, Allemagne.
-Dans ces recueils l’accompagnement est de style polyphonique, la mélodie n’étant qu’une voix parmi d’autres. La basse ne joue pas encore le rôle qu’on lui confère plus tard (supporter les harmonies). Enfin le traitement expressif du texte n’est pas développé. Vision encore polyphonique.
*La transcription
De même la pratique de la transcription dans la madrigal polyphonique: la voix de dessus peut être chantée en soliste, avec une réduction des autres voix par un ou plusieurs instruments (Ex. 1: Willaert, “Ma donn’io non lo so”).
*Le chanteur soliste devient une figure importante vers les années 1570.
-Il s’agit maintenant de musiciens professionnels qui reçoivent une formation de virtuose, à la différence du chanteur-luthiste qui agrémente les cours de la Renaissance.
-De grandes personnalités émergent: Giulio Cesare Brancaccio, Vittoria Archilei (grande virtuosité, tient le rôle titre d’un des 1ers opéras, Euridice de Peri, 1600), Giulio CacciniEt bien sûr les filles de ce musicien (Francesca surnommée “La Cecchina” également compositrice -airs, un opéra et un ballet-, et Settimia, “la Flora”) qui séjournèrent en France quelque temps. La famille Caccini avait été invitée par la cour de France en 1604 (Henri IV), et le roi, ayant déclaré que Francesca Caccini était la meilleure chanteuse de toute la France, voulut l’attacher à son service. Mais la cour de Toscane a refusé.,Jacopo Peri, et bien d'autres.
-Pour exemple un témoignage sur trois célèbres cantatrices de la cour de Ferrare décrit un art déjà raffiné:
“Elles modéraient ou augmentaient leur voix, forte ou douce, lourde ou légère, suivant les besoins de la pièce qu’elles chantaient; tantôt lentement en y mêlant parfois un délicat soupir, tantôt chantant de longs passages liés ou détachés, tantôt des groupes, tantôt des bonds, tantôt de longs tremblements, tantôt de brefs, tantôt encore avec de suaves traits chantés doucement, auxquels on entendait parfois un écho répondre de façon inattendue. (...) Elles rendaient les paroles avec une telle clarté qu’on pouvait entendre jusqu’aux dernières syllabes de chaque mot, lequel n’était jamais interrompu ou anéanti par des passages et d’autres ornements”.GIUSTINIANI, Vincenzo, Discorso sopra la musica, ms de 1628, trad. et éd. par Carol MacClintock, Rome, American Institute of Musicology, 1962. Cité in Palisca, Histoire de la musique baroque, op cit, p. 30. Giustinani (1564-1637) mécène et théoricien. Son traité (Discorso ...) donne de précieuses indications sur la vie musicale du début du XVIIe siècle, en particulier sur les chanteurs. Lié aux plus hauts cercles romains, la famille Barberini par ex.
Expliquer “tremblements”, “passages”, “groupes” = ornements
Intérêt de cette citation:
-un art du chant au début du XVIIe s. (ornements, nuances)
-l’importance du texte dans l’interprétation.
Ces chanteurs interprétaient de madrigaux dont les voix étaient réduites au clavier ou au luth.
-Ils ornaient la voix de dessus avec un système de remplissage en valeurs courtes (départ sur la note initiale ou passage sur plusieurs notes de la mélodie). Cf ex. Palisca, p. 31.
-Très grande virtuosité.
-Cette ornementation donne naissance à la variation sur une mélodie, une des techniques de la musique vocale soliste de l’époque baroque.
-Ces diminutions ornementales annoncent clairement le style orné de l’époque baroque.
Les chanteurs-compositeurs (Caccini, Peri) font avancer l’écriture monodique, en répondant à un goût du public pour le brillant mais aussi pour l’émotion. Quant ce nouveau style est établi, des compositeurs non virtuoses du chant, l’imitent et le raffinent: Sigismondo d’India et Monteverdi.
Correspondance étroite entre création musicale et interprètes.
II- Objectifs de la monodie
1-Retrouver l’art et la musique des Anciens (l’idéal antique)
2-Exprimer un texte grâce au chant soliste et non plus par la polyphonie.
-La Camerata dei Bardi: Florence
-Les participants connus:
*musiciens:
-Giulio Caccini, 1551-1618 (chanteur, compositeur),
-Vincenzo Galilei, fin des années 1520-1591 (père de l’astronome, compositeur),
-Piero Strozzi, ca 1550-1609 (noble, musicien amateur, chanteur).
-Le fait qu’il y ait 2 chanteurs virtuoses est à mettre en relation avec les réformes proposées.
*Giovanni Bardi (1534-1612) est lui-même musicien amateur et mécène. Il est en relation épistolaire avec un érudit d’origine florentine et vivant à Rome: Girolamo Mei (1519-1594).
1-Le chant soliste
*dénoncer le contrepoint
*parvenir au chant soliste en l’affranchissant de la polyphonie.
2-Rapports musique/texte
*mettre en valeur le texte en trouvant un débit proche de la parole)
*exprimer les passions (“affetti”) véhiculée par ce texte
Les débats de la Camerata (un des premiers exemples où la théorie devance la pratique) visent surtout à une réforme du madrigal polyphonique et non pas tant à la création d’un genre dramatique à l’imitation des anciens (l’opéra, réclamé plus tard par un autre cercle, celui des Corsi).
-Un manifeste: le Dialogo della musica antica et della moderna, de V. Galilei, publié en 1581, Florence, qui reprend ces idées. Forme: un dialogue entre 2 interlocuteurs, le comte Bardi et Piero Strozzi
-Un autre écrit important: la préface des Nuove Musiche de Caccini, Florence, 1602. Recueil d’airs et de madrigaux à voix seule, précédé d’un texte de ce compositeur reprenant les idées de la Camerata, y décrivant sa participation et donnant des indications d’interprétation.
-Préface importante à connaître (trad. anglais/français, cf biblio).
-Pour Caccini: le compositeur doit se
« conformer au style loué par Platon et d’autres philosophes, qui déclarent que la musique n’est rien que la parole, le rythme et le son venant ensuite; et non le contraire ».CACCINI, préface, Nuove musiche..., éd. Hitchcock, op. cit., p. 44.
Concl.: Le texte est premier
III- L’interprétation : ornements et style
-Caccini s’élève contre une conception dévoyée de la virtuosité : pour lui, elle n’est pas le cache misère du manque d’expressivité. Dès la naissance de la monodie – qui engendre rappelons le l’opéra –, la virtuosité et les tendances à la virtuosité sont donc critiquées :
« ‘les longs roulements de voix’ [pratiquées à son époque] étaient souvent employés sans discernement : il convient de remarquer que ces passages-là n’ont pas été introduits parce que l’exigeait la bonne manière de chanter mais plutôt dirai-je, pour chatouiller l’oreille de ceux qui le moins s’y entendent en matière de chant expressif ; s’ils s’y entendaient, ces passages leur seraient sans nul doute odieux, car rien n’est plus contraire à l’expression des passions. » (Nuove musiche, 1602, (Cahiers GKC, p. 92).
-la gorgia: art de ornements vocaux
-goût baroque pour l’ornementation même si le texte est premier. Mais l’ornement est expressif et obéit à des règles.
a-origines: le chanteur soliste. XVIe : diminutions du dessus (madrigal), goût pour la virtuosité et l’expression du texte.
-diction expressive
-le tempo affecté par les ornements (cf supra). Suit le texte, tempo plus libre
b-Nuove musiche, Caccini, 1602. Longue intro sur la gorgia.
-L’aspect expressif et la transmission du texte sont les plus importants et conditionnent l’ornementation:
“Je vois partout aujourd’hui nombre d’entre elles [les musiques de Caccini] corrompues et mises en pièces et constate le mésusage qui est fait de ces ‘longs roulements de voix’ en valeurs simples ou doubles (c’est à dire diminuées) combinées entre elles et que j’inventai pour rompre avec l’ancienne manière d’exécuter les passages alors en usage, manière plus propre aux instruments à vent et à cordes qu’à la voix. Je vois en outre utiliser sans discernement le ‘crescere e scemare della voce’, les ‘esclamazioni’, les ‘trilli’, ‘gruppi’ et autres semblables ornements qu’exige la bonne manière de chanter”. (Préface aux Nuove Musiche, Florence, 1602, éd. Cahiers GCK, vol. II, 1993, p. 82-83)
-présente 5 groupes d’ornements, dont certains sont empruntés à la pratique de la Renaissance :
1- les passagi ou passages par degrés; Caccini : cascata (chute).
2- les accenti qui consistent à écourter la valeur d’une longue par un port de voix (débutant en général une tierce en-dessous de la note écrite mais pas recommandé par Caccini);
3- l’esclamatione, cresc. suivi d’un decresc. sur une note tenue;
4- le groppo, trille modernecf aussi l’article de DARBELLAY, Etienne, “Liberté, variété et ‘affette cantabili’ chez Girolamo Frescobaldi”, Revue de musicologie, Paris, 1975, n° 2, p. 198 à 243. Article très important sur le style de Frescobaldi et son interprétation. ;
5- le trillo, trémolo rapide exécuté sur la même notecf encore au XVIIIe s. Le dictionnaire de musique de Brossard, Paris 1703, Réed. 1965, qui donne des explications pour l’interprétation de cet ornement. .
Il faut rajouter des figures caractéristiques, tel le rythme lombard, soulignant l’expression de certains mots.
EX Nuove musiche, ornements
c-Fonction des ornements: *structures (souligne la cadence) *expressif: mettent en valeur les affects *mettent en valeur les mots (orn. sur mot-clé: sospiri, duolo, (escl. sur mots importants, etc).
Conclusion -La monodie: forme vocale qui s’établit au XVIIe. C’est un art de chanteur. -Un nouveau style: le récitatif s’oppose au style polyphonique -Une nouvelle écriture: la basse continue -un art du chant qui se développe. |
IV- Les compositeurs et la monodie : entre science et expression
-Sigismondo D’India pratique à la fois le madrigal polyphonique et le m. à voix seule. Ne renonce pas aux acquis de la prima prattica et insuffle à la monodie, les techniques issues de la polyphonie : structures harmoniques, dissonances. Plus expressif que les chanteurs-compositeurs comme Caccini.
-Ex: « Crude Amarilli » de d’India qui s’inspire d’un madrigal à 5 voix du même compositeur.
-Monteverdi
De même Monteverdi reste attaché à la « science » de l’écriture madrigalesque : le contrepoint.
=> En effet, le nouveau style de la monodie pose pb aux compositeurs « professionnels »: ils ne veulent pas brader leurs compétences musicales et tentent donc un compromis. Monteverdi, s’il approuve les avancées musicales et esthétiques des Florentins, continue à croire en la valeur d’un certain héritage et d’un certain métier (à la ≠ de Caccini, cf. Nuove M.). Cf. T Carter, CD Canti amorosi.
-Chez Monteverdi, peu de pièces, sauf l’opéra, exploitent la monodie : sa forme préférée est plutôt le duo, sans exclure d’autres combinaisons (trio 2 voix de dessus et basse, etc.) : Livre VII, Scherzi musicali (1632), Livre VIII (m. guerriers et amoureux), IX.
=> formation qui existe dans la cantate.
-Il développe aussi des dialogues dramatiques
-deux chanteurs interviennent dans le récitatif, avec de brefs duos. Sujets pastoraux ou moraux, familiers au madrigal : Tirsi e Clori, Livre VII (Concerto : settimo libro de madrigali), Venise, 1619, Monteverdi.
-à voix seule: l’écho, ou encore un dialogue évoqué par la mélodie.
-évolution vers la cantate
Exemple écoute : « Zefiro torna » (Scherzi) CD Canti amorosi
*formation : duo de ténors
*Aria en ternaire sur un poème de Rinuccini
Inspiration pastorale : un berger se plaint de la dureté de la bergère qu’il aime, seul dans une nature joyeuse (contraste nature/affect) => motif topique de la pastorale.
*Utilisation d’une mélodie « bondissante » (T. Carter, ibid.) et dans la dernière strophe : des dissonances plaintives.
*basse obstinée : motif de chaconne, technique encore neuve. S’arrête dans la dernière strophe.
*madrigalismes issus du m. polyphonique. Ex : vocalises pour l’air et l’onde, mélodies pour « soavi accenti », aigu pour les monts, grave pour les vallées, échos.
Monteverdi, d’India et autres : créent une fusion des styles ancien et nouveau, nouvelles avancées qui rompent avec le XVIe : style du 1er baroque.
La monodie se détache peu à peu du madrigal et poursuit sa carrière sans s’opposer au chant polyphonique.
COURS IV -2 Figures du chanteur et de la chanteuse
Avec l’avènement tout d’abord des théâtres publics et de l’opéra d’impresario au XVIIe siècle, puis de la réforme de l’opéra seria, largement dévoyée par les postures quasi narcissiques des interprètes, la figure du chanteur et de la chanteuse baroque évolue et s’impose par ses débordements extravagants et son goût parfois sans discernement d’une virtuosité mal comprise. Un pamphlet vénitien, Le Théâtre à la mode de Marcello, en fait état de façon humoristique mais hélas bien réaliste.
On nous épargnera la peine de présenter le monde des castrats, malgré toutes les erreurs et inexactitudes qui traînent sur eux : la documentation est maintenant bien fournie et accessible pour s’en faire une idée précise (voir S. Mamy, Les grands castrats napolitains à Venise au XVIIIe siècle, Mardaga, Liège, 1994 et aussi en « Que-sais-je », PUF, 1998). Rappelons seulement que, parmi eux, figuraient d’excellents chanteurs, certes d’une virtuosité éprouvée, mais également d’un talent expressif de premier plan.
Marcello, Le Théâtre à la mode (Il teatro alla moda, Venise, 1720), traduction Ernest David (1890), reprint Arles, B. Coutaz, 1993.
L’opéra seria vu par Marcello : c’est une analyse « en creux » des exagérations des chanteurs virtuoses, des exigences des musiciens et autres artistes qui ont profondément dévoyé les premiers objectifs de la réforme menée par A. Zeno et Metastasio.
-Le chanteur néglige le jeu dramatique et la vraisemblance :
« Lorsqu’il sera en scène avec un autre acteur qui, suivant l’exigence du drame, s’adressera à lui en chantant un air, il n’y fera pas attention ; il saluera les masques dans les loges, sourira aux instrumentistes et aux comparses, afin que le public comprenne bien qu’il est le signor Alipio Forconi, musico, et non le prince Zoroastre qu’il représente. » (p. 53)
-Il impose sa virtuosité au détriment d’une vérité dramatique :
« Tant que durera la ritournelle de son air, il se promènera, prendra du tabac, dira à ses amis qu’il n’est pas en voix, qu’il est enrhumé, etc. Quand il chantera, il n’oubliera pas qu’il peut s’arrêter sur la cadence aussi longtemps qu’il le voudra et faire des traits, des fioritures, des gargouillades à sa fantaisie ; pendant ce temps, le maître de chapelle laissera là le clavier, prendra une prise et attendra qu’il plaise au chanteur de vouloir bien finir. Celui-ci reprendra haleine plusieurs fois avant de terminer par un trille qu’il battra le plus vivement possible dès le commencement, sans le préparer par une mise de voix et en recherchant surtout les cordes [notes] les plus aiguës.
« Son jeu sera de toute fantaisie, car le virtuose moderne ne devant rien entendre aux paroles, n’aura de préférence pour aucune attitude, pour aucun geste […] Quand il reviendra au da capo, il changera tout l’air à sa façon, et, quoique le changement ne s’accorde pas avec l’accompagnement […], cela importera peu, puisque (comme on l’a dit précédemment) le compositeur y est résigné. » (p. 53-54).
-Il impose ses caprices d’acteur :
« Si le chanteur représente un esclave, un prisonnier dans les fers, il apparaîtra bien poudré, avec un habit couvert de pierreries, un casque très élevé, une épée, des chaînes bien longues et bien brillantes qu’il fera résonner à tout moment, pour exciter la pitié du public. » (p. 54)
[…]
-Il impose sa volonté aux compositeurs et aux chefs d’orchestre :
« S’il commet quelque bévue en chantant un air et qu’il ne soit pas applaudi, il dira “que cet air n’a jamais été fait pour le théâtre ; qu’on ne peut le chanter ; il exigera qu’on le lui change, attendu qu’au théâtre ce sont les virtuoses et non les maîtres de chapelle [les compositeurs] qui paraissent sur scène” » (p. 57).
Des critiques justifiées
Marcello, compositeur et théoricien (1686-1739) est aussi un homme de loi et un noble vénitien. Sa satire ne s’applique pas seulement aux castrats mais également aux librettistes, aux compositeurs (il vise Vivaldi) et aux autres partenaires de l’opera seria. Ses critiques montrent en fait qu’il est attaché, comme beaucoup à l’époque, à un déroulement dramatique cohérent, aux effets spectaculaires limités, et à une vérité théâtrale capable de régir les passions des personnages ainsi que leurs relations. De même sa critique des chanteurs prouve qu’il défend un idéal d’expression plutôt que de virtuosité gratuite telle que la propage l’opéra dit napolitain.
Isabelle Moindrot analyse bien cette position qu’on a trop souvent fait passer pour « réactionnaire » : dans l’opéra seria, « l’absence de conception générale confine […] à l’absurde. La fragmentation du genre, cette logique de la combinatoire qui lui était effectivement consubstantielle, se mue dans la critique de Marcello en un éclatement de l’opéra en entités lilliputiennes, rendant la mécanique d’ensemble aussi inexplicable qu’incompréhensible » (Isabelle Moindrot, L’opéra seria, p. 263).
La virtuosité en France
En France, si le problème se pose différemment, la virtuosité existe aussi et un compositeur comme Lully a dû lutter contre elle pour imposer une vision déclamatoire, proche du texte. « La diminution (voir exemple de Boesset) fut sévèrement réprimée par Lully à la fin du XVIIe siècle ; dès lors moins tapageuse, la difficulté s’exprime par un rendu exact des agréments tels que la voix pouvait le faire, pratique qui représente d’aussi sérieuses difficultés que les traits et passages de leurs confrères ultramontains » (Philippe Lescat, « La virtuosité à l’époque baroque », Marsyas, p. 12).