Le Ballet de Flore, Lully (1669)

Introduction
1 – Sujet général
Pas d’action suivie, mais un sujet général permettant plusieurs entrées : les 4 saisons, les 5 sens, les 4 nations, etc.

2 – Structure musicale

* apparition de l’ouverture instrumentale après 1640 (le prologue n’apparaît qu’avec Lully en 1657, L’Amour malade)
* récits et chœurs limités
* importance de la danse : jusqu’à 45 entrées (Ballet de la Nuit; 1653, Lully)

– Succession de tableaux. C’est un recul par rapport à une réalisation dramatique cohérente se rapprochant de l’opéra.

Après une éclipse sous la Régence et la Fronde, le b de cour connaît un regain de faveur sous L XIV grâce notamment à Lully et Benserade.

*

2 – Evolution du rôle du ballet de cour au XVIIe siècle

– Le rôle politique des livrets : Benserade

– Un des principaux auteurs sous L XIV (même s’il en existe d’autres)
– Isaac de Benserade (1613-1691) : poète, auteur de tragédies, élu à l’Académie française en 1674. Ecrit les livrets en vers pour les ballets sous L XIV de 1651 à 1669 environ ; collaboration presque exclusive avec Lully.

a – Les vers des personnages : sa spécialité
– Jeu à double entente, louanges pour les personnages et les personnes
b – La distribution des rôles dépend du librettiste : attribue les rôles nobles aux grands (capitaines, dieux). Associe les allégories avec la personne du roi : ex le Soleil et L XIV
– Le soleil : ce recours n’est pas nouveau (cf L XIII). Apparaît dès 1649. Dans le Ballet de la Nuit également en 1653.

– Structure musicale du ballet à entrées sous L XIV
– Apports de Lully ne sont pas négligeables :

* importance des parties chantées, introduction de la “plainte”,
* développement de l’orchestre, des sections qui lui sont dévolues (ex : mise au point de l’ouverture à la française)
* et enfin souci d’une construction dramaturgique et musicale

=> ce qu’on voit à l’œuvre dans le Ballet de Flore.

– Lully et le ballet (1653-1661)

– Un lieu d’apprentissage

a – Les assimilations
– Assimile le style et écriture française (air sérieux du ballet) ; au départ est plus à l’aise dans le style italien (Lamento).
– En particulier assimile l’écriture vocale et le style des danses si particulier à la France.

b – Le tournant de 1661
– A partir du Ballet des Saisons, 1661 : un tournant avec la disparition presque totale des pièces italiennes en raison du changement de goût, de la politique menée par Colbert mais aussi des réticences assez violentes des musiciens français. Lambert aide Lully dans les ballets à “mieux les imprégner du style du pays” (de La Gorce, p. 414).

c – Les apports de Lully
– L’ouverture à la française

– Origines: alternance lent/vif du principe de la danse (Allemande/courante)
– 2 ou 3 volets:

* Grave (lent) pointé, mesure binaire
* Vif, style fugué ; les instruments rentrent en fugato sur le même motif; en général de mesure ternaire (mais ce n’est pas systématique)
* Grave pointé, mais ce retour n’est pas toujours systématique (ne pas penser qu’une ouverture est tjrs tripartite).

– Une de 1ères: ouverture du Ballet d’Alcidiane, 1658

* Forme AB
* Lent : rythme pointé
* Vif, entrées fuguées.

– Les danses
– Développe l’écriture et la richesse des danses
– types : chaconne, bourrée, menuet, canaries, etc.

– Au sein du ballet de cour, Lully assimile l’écriture française autant dans l’écriture vocale (même s’il collabore avec d’autres) que dans le traitement de l’orchestre et l’écriture instrumentale (les danses notamment qui font très tôt sa célébrité). Il fait ses premières armes dans l’acquisition du style français tout en participant à la célébration du roi,

Le Ballet de Flore

– Créé en février 1669, dans le grand salon des Tuileries et non dans la salle des Machines, trop grande et à l’acoustique trop mauvaise. (Cf Albert Cohen, Ballet de Flore, Introduction, G Olms Verlag, 2001, p. XV) CF l’échec d’Ercole amante de Cavalli en 1662.
– texte de Benserade, décor de Vigarani, costumes d’Henry Gissey
– Ecrit pour le Carnaval

A – Le texte poétique
– Argument
– origine : Les Fastes d’Ovide, 5e livre, Jeux en l’honneur de Flore
– Ballet en l’honneur de Madame, Henriette d’Angleterre, épouse de Monsieur frère du roi (duc d’Orléans) ; la princesse n’a pas pu danser en raison de sa grossesse.
– En réalité ce ballet devait aussi célébrer le traité d’Aix-la-Chapelle (signé en mai 1668 entre la France et l’Espagne) qui mettait fin à la guerre de Dévolution.
NB : la guerre : L XIV réclame (par “dévolution”) les territoires des Flandres espagnoles comme devant revenir à sa femme après la mort du roi d’Espagne Philippe IV. L XIV recevra une partie de la Flandre espagnole (Lille, Courtrai, Douai, etc.) et ses places fortes. Désormais la puissance du roi inquiète les princes allemands.

– Le ballet célèbre la paix que le roi vient de donner à l’Europe
– L’argument donné par Benserade : Le Soleil (= L XIV) a vaincu l’hiver et fait descendre Flore du ciel. Tout le ballet évoque ensuite des aventures mythologiques en l’honneur de Flore toutes liées à la présence de fleurs (ex : les gouttes sang d’Adonis transformées en anémone).

– Un spectacle allégorique
– Le recours allégorique est clair : L XIV = le Soleil a rendu la paix à la terre (il a vaincu l’hiver). Grâce à lui, la vie peut renaître.
– Le roi danse les rôles du Soleil (I) et prend la tête du “quadrille” de l’Europe dans le grand ballet (XV)
– Enfin le ballet est le dvt scénique de 2 emblèmes royaux : le soleil et les fleurs de lys (présentes dans le dernier décor)

– Livret donne des indications de mise en scène et nombre des participants : il donne une idée d’un somptueux spectacle (cf. A. Cohen, Ballet de Flore, G Olms, p. XV)

* 138 participants ho et femme
* 25 nobles danseurs dont le roi (2 rôles ou 3)
* 29 danseurs pro
* 30 chanteurs
* 54 instruments

– Somptueux costumes et décors ainsi que des myriades de fleurs utilisées.
– Machines : peu de renseignements. Seulement indiqués : Flore descend d’un nuage (II) et Jupiter vient du ciel (XIV)

B – Les apports musicaux

Comment la glorification du roi est-elle relayée par la musique ? Ex musicaux
– Dramaturgie élaborée (deux blocs symétriques entourent les entrées)
– Plan tonal et instrumentation (arrivée d’ut maj pour le finale avec tr et timbales)
– Ecriture de certaines danses (Entrée du Soleil en rythme pointé)
– Pouvoir expressif de la Plainte de Vénus

1 – Dramaturgie musicale
– Lully et Benserade respectent les séquences obligées du ballet à entrées mais donnent ici une cohérence et une construction dramaturgique nouvelles
– Les parties sont délimitées par des changements de décor => l’effet visuel rejoint l’effet dramatique
– Organisation en grands blocs symétriques
– le prologue avec l’orchestre, le chœur et le récit de l’Hyver renvoie au finale avec toutes les forces de la musique. Lully adjoint ici musiciens de la Chambre et ceux de l’Ecurie => coda somptueuse
La Plainte de Vénus domine : longue déploration vocale, une des particularités des apports de Lully.

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– Contrastes : entre ces grands blocs, contrastes entre les climats et les effets avec un progression dynamique vers une expression plus profonde.

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3 – Structure générale du Ballet de Flore (1669)

2 – Le plan tonal :
– Il épouse les différentes parties et les mettent en valeur
– ré min pour le prologue : unifie cette section. Repris en 1e partie pour une transition. Des contrastes tonaux mettent ensuite en valeur les différentes danses. Dans la 2e section : une technique française, le bimodalisme (utilisation d’un ton mineur et de son homonyme majeur) : effet de contraste qui demeure chez Lully et les français, en particulier dans les danses en paire (menuets I et II par ex) ou dans les sections expressives des récitatifs.
– Enfin le finale éclate en ut majeur, ton pas encore employé : souligne l’hommage à L. XIV

– Le timbre :

* arrivée dans le finale des trompettes (en ut, ton naturel) et “tambours de Biscaye” (livret) = tambours de Basque.
* castagnettes demandées pour les Africains (“inventeurs des danses de castagnettes” !) dans une danse (Canaries).

3 – Prologue
– Sa fonction
Prologue et Entrée I => un bloc qui forme un véritable prologue qui donne la signification allégorique du livret. Il est délimité par la tonalité et le changt de décor
Ouverture
1 – La terre en proie à l’hiver ou à la discorde : forme rondeau avec air pour basse et chœur à 4 voix
2 – retour du printemps ou de la paix : Louis XIV, le Soleil

– Forme qui répond à la fonction d’un prologue : doit louer le roi et introduire le divertissement

– L’ouverture
– à la française bipartite, dans la même mesure à 2 (= 2/2), “grave” et “gay”. Plan tonal :
A I => V
B I => I
– Présence des rythmes pointés caractéristiques (ou “rythme saccade”) de l’ouverture (noire pointée croche) mais aussi attaché à l’évocation de la personne de L. XIV ou encore à l’évocation d’un dieu ou d’un roi (cf. Patricia Howard et Couvreur p. 333-334). La 1ère partie de l’ouverture est comme une contrepartie musicale de la dédicace verbale à L. XIV (id, p. 334).
– Ces figures de rythme dépeignent souvent les royautés terrestres et célestes chez Lully.

4 – Les entrées : centrées sur le personnage de Flore

– Partie I
Entrées nobles et réalistes : célèbrent beauté, jeunesse, hymen, abondance

– Partie II
Plus majestueuse avec des sections tragiques : Plainte de Vénus et Enlèvement de Proserpine (une pantomime sur plusieurs danses)

– Les danses
– Forme binaire (toutes)
– Seules qques unes ont un nom spécifique qui permet de déterminer le tempo ou le style
– Bcp accompagnent une action et sont liées à l’expression des personnages
– Types de danse avec nom, danses en vogue :

* Bourrée 2
* Menuet 3
* Canaries 1

5 – Le finale :
– Déjà conçu comme un divertissement de tragédie.
– C’est aussi un ballet dans le ballet (ouverture, récit, danses, grand ballet) => reprend en miroir et en réduction tout le ballet.
– Fait intervenir toutes les forces musicales associées au changement de décor et à la symbolique (effets musicaux, visuels et dramaturgiques ) => tout concourt à mettre en valeur la personne royale (d’autant que le roi lui-même danse) et l’éclat de son règne.

Le pouvoir de la musique : La plainte de Vénus

– Sans doute l’aspect le plus frappant et qui montre une évolution dans le genre : 7 pièces vocales et 3 longs chœurs, ce qui est une proportion importante pour un ballet (cf Le Ballet des Saisons, 1661 : 1 chœur et 2 airs sérieux).
La plainte de Vénus : un de meilleurs exemples de l’art de Lully

A – Structure en rondeau
– Encadrée par 2 ritournelles (2 vls et bc) qui reviennent aussi dans le refrain (infl air sérieux)
– Présence d’un refrain d’abord sous la forme abb puis ab (raccourci)

=> caractéristique de la plainte, souligne l’aspect obsessionnel par le retour de certains vers

Rit-Ref long (abb)-C1-Ref (ab)-C2-Ref (ab)-Rit

B – Une rhétorique musicale

1 – Les conceptions baroques (même en France) : exprimer les passions et, pour cela, adopter des procédés de rhétorique musicale adaptée. Une démarche à bien saisir pour comprendre cette musique.
– Les procédés rhétoriques concernent :
* Ton *intervalles *rythmes et silences *débit *harmonie

2 – Les procédés rhétoriques dans la Plainte

a – Tonalité
– Ton de sol min => moment expressif au milieu de danses en majorité majeures. Les tons mineurs en général pour les lamentos et plaintes
– Écriture de la basse : tétracorde descendant mais pas d’ostinato (infl du lamento)

b – Figuralismes
– On peut encore rattacher à l’expression des passions, le traitement du texte : la théorie des loci topici veut que certains mots reçoivent un traitement spécifique. Il s’agit donc de dépeindre : la musique doit imiter. C’est une sorte de picturalisme musical appelé aussi “figuralisme” :
– Il existe 2 démarches complémentaires :

* traiter une unité minimale, le mot (qui devient le “mot lyrique” cf Couvreur p. 311) : “mourir” => note grave et longue. “cruauté” : intervalle descendant avec ornement et note grave.
* ou bien s’attacher à l’idée contenue dans le texte : souffrir de ne pouvoir mourir (courbe descendante sur un 7 dim).

Plusieurs figures dans la Plainte de Vénus
– Silences : ref mes 24-26 => douleur, sanglots
– Figures de répétition => ah ah
– Courbes mélodiques descente dans le grave => douleur et mort (mes 28)

* courbe déployée sur une 6te mineure (mes 16-17) “cruauté” ; sur une 7 diminuée typique de Lully : “Ah, ah” (mes 25-27) et fin du couplet (mes 66-67)

– Rythmes : valeur longue sur “mourir” (mes 29)
– Harmonie : 7 (mes 16) et 9e (mes 25) qui forme un port de voix très expressif.

c – Notation du débit demandé : les mesures
– le 3/2 traditionnel dans les plaintes
– Changements de mesure dans le C1 : on passe de 3/2 (Ref) à C
– Donc valeurs plus courtes et rapides
– Le couplet 1 est plus déclamatoire

d – Ornements français
– Port de voix et pincé notés, ornements de l’air de cour (tremblement)
– Existence d’un “double” : C2 . Variation ornementale typique de la France. Il serait de M. Lambert (de La Gorce, p. 448).

L’adieu au genre ?
– Double noyautage : participation forte des danseurs professionnels et l’importance de la musique vocale.
– Benserade n’écrit plus
– L XIV arrête de danser
– Pourquoi le roi arrête de danser sur scène
1669 Britannicus de Racine est représenté. Boileau rapporte que L XIV a été frappé par qques vers sur Néron à qui on reprochait de se donner en spectacle à ses peuples

“Pour toute ambition, pour vertu singulière
Il excelle […]
A se donner lui-même en spectacle aux Romains.”

– Racine proclamait tout haut ce que bcp pensait tout bas
– Projet sans doute prémédité par Colbert avec l’aide de la Petite Académie : rendre l’image royale plus noble et plus lointaine. Ici : limite de l’absolutisme ; dans quelle mesure L XIV est-il libre ? Voir le concept de “Roi-machine” d’Apostolidès.
– J de La Gorce avance cpdt une autre explication : la mauvaise santé du roi : l’ambassadeur vénitien Morosini rapporte que le roi était sujet à des “vapeurs à la tête”. “Il semble bien qu’il fut souffrant, lors de la création du Divertissement royal [Les Amants magnifiques, en 1670], situation l’obligeant à confier […] les rôles qu’il avait répété” La Gorce, Lully, op. cit. p. 157).
– Révolution dans les divertissements : si le roi n’est plus sur scène, il ne peut endosser de rôles allégoriques. Il faut donc trouver un autre moyen de louange : les spectacles vont transposer la gloire royale. On assiste dès lors sur scène à la “transposition métaphorique” du monde réel. (Couvreur, p. 191). C’est la tragédie en musique qui la prend en charge.

=> évolution du règne : un genre plus noble et qui continue à célébrer cpdt le prince : vers la tragédie en musique.
=> les éléments musicaux sont là : Lully va les fondre dans un opéra “français” qui respecte le goût du souverain et celui du public (la cour, la ville).

Conclusion

1 – Le Ballet de cour : spectacle lié à la glorification de la monarchie (porté en avant par Richelieu et Colbert). Permet aussi d’éteindre les conflits politiques.
2 – Lully (et Benserade) relaie ce rôle par sa musique
– Mais il n’abandonne pas son métier de musicien : il y élabore les grandes pièces instrumentales (ouverture) et des airs vocaux exepressifs (Plainte de Vénus).