L’Association avait organisé le 15 octobre, une visite de l’intérieur de l’Opéra Garnier, sous la conduite d’un jeune guide-historien.
La façade de l’Opéra, en restauration, empêchait de pénétrer par le Grand Perron, le groupe a donc suivi l’itinéraire intérieur des "Abonnés historiques", (formule réservée à l’Époque, à l’élite aristocratique et financière, donnant, moyennant une forte somme, la jouissance d’une loge à l’année - aujourd’hui, l’abonnement n’est qu’une formule d’achat groupé d’une série de représentations, sans privilège particulier).
Pour mieux nous imprégner des lieux, le guide nous a demandé de nous assimiler à un groupe d’Abonnés du 19ème s.
Il nous donne quelques repères historiques:
*** Napoléon III décida en 1858 de construire un nouvel Opéra, aux accès mieux protégés des attentats que ceux de la salle Le Peletier ,mais surtout de doter Paris "la plus belle ville du monde", d’un lieu de prestige, écrin de toutes les manifestations mondaines.
*** Charles Garnier (1825-1898), jeune architecte, Prix de Rome, remporta le concours. Il bénéficia d’une enveloppe financière à la hauteur des ambitions impériales.
*** Il s’appuya, pour la réalisation, sur toutes les techniques d’avant-garde de construction et de décoration, mobilisa toutes les célébrités artistiques de l’Époque, ses amis du Prix de Rome et de l’Académie des Beaux Arts.
*** La construction débuta en 1861, première inauguration de la façade en 1867, avec l’Empereur. Arrêt avec la Guerre de 70, l’avènement de la 3ème République, violemment anti-Empire, le remboursement de la Dette. Hasard, la destruction par incendie accidentel de l’Opéra Le Peletier en 1873, relança vigoureusement le chantier.
PARIS, en ruines, se devait de retrouver son prestige en se dotant rapidement d’un Opéra digne. Autant terminer celui de Garnier, même s’il sentait le Second Empire.
*** Inauguration fastueuse le 5 janvier 1875, avec le Président Mac Mahon, les Souverains Espagnols et le Gotha de toute l’Europe.
Garnier, bien qu’il dût payer son entrée, reçut un accueil triomphal.
L'Opéra Garnier était lancé.
Suivons le cheminement des Abonnés de l’Époque.
LA ROTONDE DES ABONNES
En descendant de leur voiture par le Pavillon des Abonnés (côté est), ils accèdent de plain-pied dans un vaste espace circulaire de 20 mètres de diamètre.
Celui-ci, aujourd'hui, n’est pas accessible pendant les spectacles. Ce fut donc une découverte pour le groupe.
La rotonde est construite autour d’une structure métallique, supportant la salle de spectacles par 16 colonnes en fonte disparaissant sous leur habillage de marbre précieux.
Atmosphère un peu sombre voulue par contraste avec le reste du bâtiment, décoration sobre mais recherchée, comme ce plafond à caissons recelant en son centre une rosace d’arabesques incluant le patronyme et la qualité d’architecte de Ch. Garnier, comme ce sol magnifique de motifs en mosaïque.
En se dirigeant vers le grand escalier, nouvelle découverte.
LA GROTTE DE LA PYTHIE
Sous le Grand Escalier est aménagée une sorte de grotte, avec un bassin. En son centre, une grande statue en bronze représente la Pythie de Delphes, prêtresse divinatrice, servante d’Apollon, sous le signe duquel a été bâti l’Opéra.
Cette statue, la seule ayant été acquise en dehors du projet, est l’œuvre de Marcelo, pseudonyme masculin d’Adèle d’Affry, artiste Suisse, reconnue du Tout Paris artistique mais également du Tout Paris mondain par son titre de Duchesse Castiglione-Colonna...
Nous gagnons maintenant le grand hall par un double escalier en marbre aux degrés adoucis pour ne pas entraver la démarche des robes longues.
LE GRAND ESCALIER
IL est connu du monde entier, mais ses réelles dimensions, ses raffinements dans sa construction (la dimension ajustée des balustres pour respecter la perspective, la modulation de la forme des marches...), sa décoration exubérante mais étudiée (variété et assortiments des marbres de toute l’Europe ...) le sont moins.
Même celles et ceux de notre groupe qui l’ont pratiqué, admirent à nouveau les peintures du plafond, les encorbellements des balcons, les torchères, les styles mélangés pour donner ce style Napoléon III, cher à Garnier, dit "Éclectique".
Le guide nous fait découvrir les salamandres de bronze qui camouflaient l’arrivée du gaz d’éclairage puis très vite de l’électricité.
Nous gravissons la première volée pour nous arrêter sur le palier donnant accès à l’Amphithéâtre-Baignoires-Orchestre.
Deux grandes caryatides (la Comédie et la Tragédie) soutiennent l'entablement du passage.
Puis nous continuons jusqu’au niveau principal distribuant des espaces plus célèbres les uns que les autres.
LA GALERIE DES LOGES
Encore un sol de mosaïque richement illustré, des bustes le long des murs, dont celui de H.Berlioz, grand ami de Ch. Garnier.
Au premier: arrêt à la Loge N° 5. C’est celle attribuée au fantôme de l’Opéra, héros de la nouvelle de Gaston Leroux (1910). Selon le roman, des évènements mystérieux et inquiétants se déroulèrent à l’Opéra (chute du lustre, disparitions, rançons…) tous annoncés par un personnage fantomatique qui habitait (mythique) au bord du Lac Souterrain (réel) de l’Opéra et louait la loge n° 5. La psychose fut telle, que, pendant longtemps, personne ne voulut l'occuper. Aujourd’hui, il n’en est rien, juste une plaque rappelle qu’elle a appartenu au fantôme.
Visite d’une Grande Loge centrale, vidée de ses sièges pour en apprécier les dimensions et différents usages par les Abonnés (salon, mise en valeur des toilettes, observatoire ,salle à manger ,alcôve discrète..)
Un coup d’œil sur la Salle de Spectacles pour admirer le plafond de Chagall qui recouvre depuis 1964 l’ancien -conservé- de Lenepveu, le grand lustre de 7 tonnes (seul un contre-poids chuta en 1896 tuant une spectatrice), les Avants Scènes Impériales, aujourd’hui banalisées, la couleur rouge choisie par Garnier pour mettre en valeur les toilettes des Dames.
LA ROTONDE DU GLACIER
Située dans le Pavillon des Abonnés, vaste pièce circulaire destinée à accueillir le stand des rafraîchissements et collations (servis notamment dans les loges). Elle est richement décorée de 8 tapisseries des Gobelins illustrant les boissons servies (champagne, café, orangeade…. et la pèche et la chasse !!), couverte d’un plafond peint (G. Clairin) de scènes mythologiques d’anges... faunes et bacchantes, dotée d’un riche parquet en marqueterie.
L'AVANT FOYER OU FOYER DES MOSAÏQUES
Sol au décor de mosaïque, plafond de mosaïque, lustres et dorures, desservant à la fois le Grand Foyer et les Balcons du Grand Escalier. Il était un point de passage obligé dans ce lieu ultra-mondain où jusqu’à une époque récente il importait de voir et d’être vu.
Garnier développa l’utilisation de la mosaïque, grâce à un procédé tout nouveau d’encollage par panneaux , moins coûteux, mis au point par un Italien et toujours pratiqué.
En hommage aux ouvriers du chantier ,mais aussi pour calmer leurs revendications,il les fit représenter dans les corniches sculptées du plafond.
LE GRAND FOYER
Cœur mondain de l’Opéra, il est somptueux avec ses 54 mètres qui longent la façade, son parquet de bois précieux, son plafond très haut décoré de médaillons relatant l’histoire de la musique (G. Baudry), ses lustres et grandes glaces, sa profusion d’ors, le tout d’un effet digne de la Galerie des Glaces à laquelle il est souvent comparé.
On peut apercevoir en bout de galerie, au dessus de 2 fausses cheminées monumentales, les portraits en médaillon sculpté de Ch. Garnier et de son épouse.
Pour user d’autant d’or, dans un budget devenu restreint, Garnier utilisa la "dorure à effet". Cette technique, économe en feuilles d’or consiste à les appliquer aux seuls endroits où la lumière renverra son éclat. Ailleurs on peint. Cette technique a été utilisée pour chaque rénovation!
En 1875, l’usage voulait que les Dames n’aient pas accès au Foyer, réservé aux Hommes. Lors de l’inauguration, la Reine d’Espagne y pénétra par curiosité, bousculant l’usage qui ainsi disparut .
LA LOGGIA
On y accède depuis le Grand Foyer, par de larges baies. Elle court le long de la façade. On peut apercevoir -quand il n’y a pas de travaux- en vue plongeante, la Place et l’Avenue de l'Opéra. Cette dernière fut ouverte spécialement à la demande de l’Empereur, jusqu’au Louvre, permettant une vue directe, sans arbres malgré l’opposition du baron Haussmann.
LES SALONS DE LA LUNE ET DU SOLEIL
Directement reliés de part et d’autre du Grand Foyer, moins connus bien qu’ouverts pendant les représentations, d’une décoration simplement peinte, certes recherchée, mais qui contraste avec le luxe exubérant des pièces voisines. Leurs parquets sont de fine marqueterie d’ébène.
Dans le projet, ils devaient servir d’introduction à la Rotonde du Glacier et au Fumoir en reprenant des peintures allégoriques du Soleil (salamandres illustrant le feu) pour le Fumoir et pour la Lune (animaux symbolisant la nuit et le froid,) avant-goût du Salon du Glacier! Dans la précipitation du chantier, ils furent intervertis et desservent le Glacier par le Soleil, et le Fumoir par la Lune. Il parait que Ch. Garnier en piqua une violente colère.
LE FUMOIR
Ce vestibule, côté rue Scribe, et surtout entrée de L’Empereur, fut transformé en Musée, suivi d’une bibliothèque riche de partitions musicales originales.
Avis aux chercheurs.
Nous traversons rapidement ces pièces, pour rejoindre ce qui devaient être les appartements de l’Empereur, jamais aménagés, et atteindre le niveau du Grand Escalier, vers l’Entrée Principale. Nous admirons au passage quelques costumes de scènes particulièrement originaux.
LE GRAND VESTIBULE
Grand espace d’accueil quand les spectateurs pénètrent par le Grand Perron.
Décoration fonctionnelle. Bustes attirent l’œil. Sur une remarque du guide qui suscite des réactions étonnées du groupe, il s’avère que Ch. Garnier a voulu rendre hommage à 4 pays européens en exposant les buste d’un compositeur représentatif: Gluck pour l’Allemagne, Rameau pour la France, Haendel pour l' Angleterre, Lully pour l'Italie.
En conclusion, cette approche par les Abonnés nous a bien montré ce que recherchait Ch. Garnier en donnant autant d’importance aux volumes consacrés à l’accueil et aux réceptions qu’à ceux du spectacle. La décoration digne d’un Palais Impérial, répondait à l’attente de l’élite sociale de l’Époque. On peut comprendre qu’il ait gagné le concours.
Visite très dense, vivante par les anecdotes, riche de découvertes. Le guide en fut chaleureusement remercié.
Chacun pensait à de possibles prochaines visites : la scène, les coulisses, et l’extérieur dès la fin des travaux.